Quand on n'est pas ou plus deux — Action catholique des milieux indépendants (ACI)

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Quand on n'est pas ou plus deux

Nous vous proposons ici les témoignages d’une divorcée, d’une célibataire et d’un veuf, en complément du dossier paru dans Le Courrier n°170 (juin 2014). Les prénoms ont été changés.

Témoignage d’une divorcée

Quand nous avons divorcé, j’ai eu besoin de temps pour « digérer » ce changement dans ma vie personnelle et familiale. Puis les peurs sont arrivées : peur de ne pas être à la hauteur dans l’éducation de nos trois filles, peur de ne pas tenir le coup, peur du regard des autres, peur financière, peur de la solitude… Je n’avais qu’une seule certitude mais elle était de taille : Dieu m’aidera à porter toutes ces peurs. Ce ne sera pas simple mais je vais y arriver face à ce quotidien à vivre seule. Les journées sont très longues lorsqu’après une journée de travail j’assumais seule l’éducation des enfants, les décisions de leurs orientations scolaires… Le temps personnel se réduit à rien du tout. Même si mes amies m’ont entourée pendant cette épreuve je me suis enfermée sur moi. Et ce n’est que depuis quelques temps que je reprends confiance. Mon divorce est derrière moi…

Marie

La vie de famille d’une personne célibataire

Je n’ai pas choisi mon célibat, mais je le vis sereinement. La présence d’un compagnon me manque parfois, sans que cela ne remette en cause le fait que ma vie ait un « sens ». Certainement par le témoignage dans ma jeunesse de deux cousines, l’une mariée, l’autre célibataire, nous invitant à chaque repas de famille, l’une à ne pas nous marier, l’autre à le faire ! Ce n’était donc pas dans un « état » de vie que se situait le bonheur ! Ensuite la réflexion faite en JICF, éclairée par l’Evangile, m’a confirmée dans la conviction que la valeur d’une vie n’est pas dans un « à venir », mais donnée chaque jour, telle qu’elle est !

Longtemps, j’ai senti que pour mes parents je n’étais pas tout à fait « accomplie ». Ils ont certainement « souffert » de mon célibat. Peu à peu, ayant atteint un âge dit canonique, j’ai acquis la reconnaissance d’une « expérience » de vie.

J’ai eu la chance d’être proche de mes neveux durant leur enfance. Ma sœur et mon frère les confiaient facilement à mes parents et nous passions ensemble un mois d’été et une partie des autres vacances scolaires dans la maison de campagne que mes parents avaient fait construire pour ces moments. Cela a créé des liens de cousinage forts, en particulier pour les enfants de mon frère qui ont connu la rupture de leur famille avec le divorce de leurs parents. J’ai toujours aimé les enfants et apprécié cette place d’adulte un peu « à côté »… chargée de les accompagner un temps sur la route de la vie sans avoir à investir sur eux une responsabilité ou un projet ! J’ai aimé ces moments de contemplation de temps entre eux où se découvre la richesse de chacun. J’y ai certainement puisé une image de l’amour du Père, du Christ …

Lorsque ma sœur est devenue grand-mère, j’ai réalisé que j’avais le même âge alors que je ne me sentais pas encore apte à être mère ! J’ai souvent pensé que j’aurai eu beaucoup de mal à prendre le recul nécessaire, ce qui fait que je n’ai pas vraiment souffert d’un manque d’enfant.

Prof de math, j’ai donné à l’occasion des cours de soutien à l’un ou l’autre de mes neveux ou nièces. Et dans la famille, on avait l’habitude de plaisanter : « Si vous ne travaillez pas bien, vous irez en pension chez votre tante ! ». Au moment du divorce de ses parents, l’ainé des fils de mon frère a demandé à venir vivre avec moi. Il était en difficulté scolaire, mais surtout, je crois qu’il ne voulait pas choisir entre ses parents. Il a passé deux ans avec moi, puis est reparti avec son frère et son père pour passer son bac.

Aujourd’hui, je reste, certainement, avec son père, une personne sur laquelle il compte. Avec sa jeune femme, il construit une famille recomposée. Je suis soucieuse de maintenir un lien de « cousinage » où les différences de choix de vie, d’engagement, et de foi peuvent dialoguer !

J’ai toujours été étonnée lorsque les gens s’interrogeaient sur l’existence d’une vie de famille pour une personne célibataire jusqu’au jour où j’ai entendu ma sœur, mariée et mère de famille, parler de la sienne. Nous ne mettions plus les mêmes priorités sous ce mot. Pour elle, la famille c’était d’abord celle qu’elle avait construit avec son mari et ses enfants, alors que pour moi cela restait le noyau originel de mes parents, mes frère et sœur, ouvert aux conjoints et aux neveux et nièces !

Dernièrement, le second fils de mon frère est venu me rendre visite avec sa future compagne. J’étais la première personne de la famille à faire sa connaissance après mon frère, et c’est à la demande de la jeune femme qu’ils faisaient cette démarche. Lors de la conversation, elle a dit : « Chaque fois que nous sortons ensemble, il me parle de vous et de ce que vous avez fait ensemble : sorties, jeux, voyages, … Je voulais vraiment vous connaitre ! » Mon neveu et moi avons été surpris ! Nous n’avions pas conscience de tous ces petits faits qui créent une relation. Je l’ai reçu comme un vrai cadeau et la confirmation de l’importance des petites choses de la vie !

Bien sur, ils seront mes héritiers !

Thérèse

Témoignage d’un veuf

Après un long temps de célibat et à peine vingt-cinq ans de mariage, je suis veuf depuis près de neuf ans et retraité depuis près de cinq ans.

Terrassée par une hémorragie cérébrale, Marie, mon épouse, est décédée en quelques heures. Et il m'a d'abord fallu, aidé par ma belle-sœur et mon beau-frère, faire face à la peine et l'incompréhension de nos deux grands jeunes de 19 et 16 ans.

Nous nous sommes très vite organisés sur le plan domestique, financier, professionnel, scolaire, et des loisirs. En revanche, j'ai dû découvrir les affaires de ma femme, car je n'en connaissais que très peu de choses.

Ma formation juridique et mon expérience professionnelle m'ont alors été bien utiles, comme mon caractère parfois obstiné.

Pendant les trois années suivantes, j'ai mené une vie professionnelle quasi normale, mais avec trois heures de transports par jour, en gérant la maison comme je le pouvais. Seul détenteur des moyens de paiement, je devais faire les courses moi-même. C'était l'occasion d'exaspération lors de la queue aux caisses, car si je devais n'avoir rien oublié avant de m'y présenter, il y avait toujours devant moi, deux ou trois couples dont l'un des membres poussait le chariot que l'autre remplissait. Défense alors de faire une remarque, car ce n'était pas de leur faute si j'étais veuf avec des enfants à charge et une maison à faire tourner seul. Heureusement, ma fille s'est vite révélée très dégourdie, et d'une aide efficace, seules des instructions succinctes étant parfois nécessaires.

En revanche, préoccupé par les problèmes de la succession et une situation matérielle restée fragile, je n'avais pas pris la pleine mesure des difficultés que traversait Philippe, mon fils, qui, sans formation, déscolarisé depuis une classe de troisième chaotique, malgré des tentatives infructueuses d'apprentissage, faisait des petits boulots.

Et, alors qu'une routine s'était installée, Philippe, qui, deux fois déjà, était parti sans donner de nouvelles, avant de revenir à la maison, et avait des comportements de plus en plus bizarres, a fait une décompensation qui, d'abord, m'a mené à aller le chercher à Nice où je l'ai retrouvé dans un état indescriptible, puis, au bout d'une semaine d'extravagances et de délires dangereux pour lui-même et pour les autres, à une hospitalisation d'office sur décision du préfet de police.

Depuis ce moment-là, ma vie de père a éclaté, coupée en deux, car Céline, ma fille, n'avait qu'une peur, irrépressible, insurmontable : se trouver en présence de son frère, très vite diagnostiqué « schizophrène ».

Et, si je me suis trouvé seul pour accompagner Céline à ses loisirs, équestres ou autres, ou des achats généralement effectués avec la maman, j'étais encore plus seul pour visiter mon fils dès l'accord du médecin, solliciter des autorisations de sorties dépendant du bon vouloir du préfet, heureusement peu réticent, et planifier ces sorties en évitant le domicile familial et faire mettre en place une mesure de protection judiciaire pour la gestion de ses biens.

A cette époque, je dus vite comprendre que ma situation personnelle, familiale et matérielle rendrait plus que compliquée la recherche d'une nouvelle compagne.

Alors que l'accompagnement de Céline ne m'a jamais pesé, pour Philippe, c'était toute une organisation car, à l'issue de son hospitalisation, il a fait un séjour de post-cure de vingt mois dans un lieu situé à plus d'une demi-journée de distance de la maison, avant de s'installer dans le Nord de la France.

Après une quatrième année de travail, mais à temps partiel, les évènements m'ont décidé à prendre ma retraite peu de temps avant Noël. En effet, l'éloignement géographique et le handicap de Philippe ainsi que l'incapacité pour Céline de supporter sa présence ont fini par rendre difficilement compatibles vie professionnelle et vie familiale épanouie, et ardue l'organisation des quelques jours de permission obtenus pour Philippe. La solidarité familiale jouant, Céline put partir à la montagne pendant que son frère venait passer quelques jours avec moi. Double peine pour Philippe en ce jour de Noël : grève surprise des conducteurs du TER et triste journée d'attente dans le froid d'une gare.

Depuis, il y a eu, le départ de Céline prenant son indépendance, l'installation autonome de Philippe, et moi-même quittant la maison devenue trop grande pour un appartement en province.

Ma principale difficulté, maintenant, est la solitude face aux décisions à prendre :

pouvant être discutées en couple, notamment l'attitude à adopter concernant nos enfants, leurs demandes de conseils, les hospitalisations réitérées de Philippe, ses errances pathologiques restant exceptionnelles ;
relativement aux objets de toutes sortes ayant appartenu à ma femme, et dont je me sens simple dépositaire ;
pour l'aménagement et la décoration du logement.

Solitude encore du dimanche où, après avoir reçu les souhaits de bon dimanche en sortant de la messe, je déjeune en compagnie de la fenêtre de ma cuisine.

Et il y a aussi, tout ce qui n'est pas prévu pour les personnes seules : croisières en cabines à deux places (supplément pour personnes seules), chambres doubles dans les hôtels, l'injustice fiscale en matière de taxe d'habitation, mon besoin de logement étant le même que si je vivais en couple, mais la taxe étant calculée en fonction du nombre d'occupants du logement.

Injustice discriminante aussi dans le calcul des retraites, car, contrairement aux mères auxquelles aucune justification particulière n'est demandée, je n'aurais droit à aucun trimestre supplémentaire pour les démarches d'adoption ou d'éducation de mes enfants, en contravention d'ailleurs avec le traité d'Amsterdam, ce qui économise à la caisse quelques dizaines d'euros par an.

Mais, surtout, je crois que la vie du veuf sans entourage familial ou amical manque des stimuli d'activité que lui apportaient la joie de l’altérité sexuelle, la tendresse réciproque, les moments partagés, les quelques loisirs ou engagements communs, la narration de nos journées, le frottement des pensées et la valorisation mutuelle de la vie de couple. Même acheter des fleurs pour la maison me semble ne plus avoir de sens. Et quand le soir arrive, il m’arrive de me consoler de la monotone et amère solitude en me gavant de petits gâteaux et autres sucreries avant d’enfouir ma tête dans l’oreiller.

Tout ceci serait bien sombre sans mes activités associatives et les temps de convivialité, voire de fraternité vécus ici ou là, ainsi que de rares retrouvailles au sein de la famille élargie.

Hilaire