Enquête : Oser la confiance — Action catholique des milieux indépendants (ACI)

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Enquête : Oser la confiance

Management par la confiance

 

L’émergence d’expériences dans le secteur privé de « l’entreprise libérée »  a conduit le service public à adapter son management. Les responsables de service sont formés à ces nouvelles méthodes, prennent des initiatives pour donner plus d’autonomie et de responsabilités aux agents.

La définition que donne wikipedia de l’entreprise libérée est la suivante : « une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bon – eux et non leur patron – d’entreprendre ».  S’inspirant des expériences des entreprises privées, en 2017, le gouvernement lance un programme de transformation de l’administration dont un des objectifs est d’améliorer la qualité des services publics en passant de la culture du contrôle à une culture de la confiance. Ce projet conduira notamment à la loi ESSOC où le « droit à l’erreur » est octroyé aux usagers. La direction interministérielle de la transformation administrative produira en février 2019 un recueil de bonnes pratiques : « transformations managériales : vers une organisation plus ouverte »  à l’usage des administrations avec 10 principes de « libération » et 4 leviers.

Le principe de confiance est essentiel notamment parce que les grandes organisations rencontrent plus de risque de désengagement des collaborateurs, et que leurs différents dispositifs de normes (politiques qualité) ou de rendement (performance par les indicateurs) qui se sont imposés aux échelons locaux de délivrance des services demandent des adaptations rapides et continues.

Cependant, le risque est fort pour le management intermédiaire et supérieur de continuer à se sentir pris dans les injonctions contradictoires, si le pouvoir de décision appartient toujours aux instances supérieures. C’est pourquoi la prochaine étape consistera pour l’entreprise publique dans laquelle je travaille à clarifier les points relevant de l’incontournable et ceux pouvant être adaptés localement. Encore faudra-t-il que les managers eux-mêmes se sentent suffisamment en confiance et autorisés afin de se saisir de ces nouvelles possibilités d’action.

Illustration de ce management par la confiance

Le management par la confiance vient perturber les habitudes.

 

Dans mon entreprise, 3 plans successifs entre 2017 et 2020 ont été déployés pour faire évoluer le management. Dans le premier plan, il s’agissait de réduire le reporting et augmenter les marges de manœuvre. Le second plan a édicté les principes de management suivants : gouvernance partagée, maturité et apprentissage, agilité, vision partagée, subsidiarité, centrés usagers et performance, responsabilité et engagement, intelligence collective, inspiration, expression de tous les points de vue.  Ce second plan a mis l’accent sur l’évolution du management avec une importante offre de formation autour des notions de leadership, confiance, de coopération, …Le troisième plan, initié en 2019, conserve les principes de management par la confiance. Il est plus centré sur l’action : « s’engager collectivement dans des projets intégrant les attentes des usagers » et outillé : évaluation des compétences managériales, formation de facilitateurs, outils pour « mettre en mouvement les collectifs ».

 

Les services sont davantage construits avec les usagers

Ces 3 plans ont perturbé les fonctionnements habituels de déploiement généralisé des projets dans l’entreprise, laissant chacun expérimenter à son rythme avec ou sans accompagnement de la direction des ressources humaines. Ils ont conduit à développer – avec plus ou moins de bonheur - des « communautés » de travail : réseaux sociaux internes favorisant le partage d’information et d’idées. Le projet d’établissement est dorénavant construit à partir d’une concertation des salariés et des usagers.  L’entreprise est dotée d’un « Lab » : « Le LAB est un des outils par lesquels nous innovons en misant sur l'idéation interne et externe ». L’idéation est le processus créatif de production, développement, et communication de nouvelles idées ; ce processus intègre l’ensemble des acteurs concernés : décideurs, managers, agents, usagers et utilise les outils de créativité.

 

Ces modalités de « management par la confiance » ont permis un certain nombre d’avancées. Les agents ont pu proposer des innovations, qui, quand elles étaient validées par un jury de cadres, ont été accompagnées parfois même financièrement : applications pour smartphones et tablettes, video sur youtube à destination des usagers, … Ces initiatives significatives ont été intégrées à l’offre de service de l’entreprise. Les projets sont de plus en plus souvent construits avec les utilisateurs qu’ils soient internes ou externes à l’entreprise.

Le fonctionnement même de l’entreprise a évolué : participation d’agents aux séminaires managériaux, participation des agents au recrutement de leur responsable sur certains sites, institution d’un « cercle de confiance » composé d’agents qui permet au directeur un échange direct avec quelques-uns des 4000 agents de l’entreprise.  

Pour ma part, j’ai un avis partagé sur ces nouvelles pratiques. Je mesure que le management par la confiance a permis de faire émerger de nouvelles modalités de service et dynamisé les agents qui se sont investis. Ces nouvelles pratiques ancrent le principe d’associer l’usager à la définition du service. Elles ont par ailleurs remis en question ceux qui sont restés « sur le bord de la route », parce qu’ils n’avaient un travail très technique ou qu’il était plus difficile de proposer localement des innovations. Certains ont mal vécu qu’il n’y ait pas de temps d’expression autour de leur travail, les réunions étant très majoritairement consacrées aux innovations.  Les managers ont souvent été laissés à eux-mêmes pour conduire ce changement. Le vocabulaire a évolué à un rythme frénétique, le franglais est omniprésent et nous utilisons des mots dont nous ne maitrisons pas la signification, réduisant pour ma part mon sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Dans la direction que je dirige, j’avais mis en place un comité de rédaction composé d’agents des services qui proposent et rédigent une newsletter à destination de tous les sites de la région. Je sollicite également l’avis de tous sur le plan d’action annuel. Les managers de la direction ont suivi des formations pour favoriser le management par la confiance. Nous associons plus souvent qu’avant nos « clients internes » dans la construction de notre communication et de nos services. Toutefois le niveau de maturité des responsables de service et des agents reste très variable et les attentes divergent.

Mon analyse est que l’entreprise reste au milieu du gué. Si beaucoup intègrent l’importance de construire les services avec les agents et les usagers, les instances de gouvernance ont peu évolué. Les agents participent aux réunions de managers mais pas à celles où se prennent les décisions. Les consignes restent très prescriptives et les managers n’ont pas tous évolué dans leur pratique.

La confiance est essentielle pour être heureux et performant au travail

Une enquête menée dans mon entreprise sur le télétravail confirme l’importance de la confiance dans le management. Ainsi ce rapport souligne que la confiance qu’ont les managers dans les agents a été un critère prépondérant pour accorder le télétravail. Cette confiance a également un impact sur la qualité du travail de l’agent : « le climat de confiance entre le manager et l’agent porte ce dernier dans l’appropriation de sa marge de manœuvre. L’impact de cette confiance est d’autant plus forte que la relation manager-agent est forte et informelle ».

Je vais vers plus d’autonomie et de responsabilité

Lorsque la confiance est établie entre l’agent et son manager, la perception de l’agent peut être très positive, comme en témoigne Thomas : « Des responsables managent depuis longtemps par la confiance. L’établissement a décidé de le généraliser. Mon manager se positionne déjà dans cette performance par la confiance. Il nous fait confiance dans notre compétence technique. Comme il ne travaille pas sur le même site que nous, il ne peut pas entrer dans une démarche de contrôle de notre temps de présence par exemple. Cela va de pair avec l’autonomie. Qu’il me fasse confiance me rend plus autonome. Je n’ai pas encore exploré les outils d’évaluation des compétences, mais je pense que ça permet de réfléchir sur soi et me permettra d’avoir d’avantage confiance en moi et dans les autres. Je vais vers plus d’autonomie et de responsabilité… Je vais vers plus d’autonomie et de responsabilité. Est-ce que je ne vais pas absorber la tâche de mon responsable de réguler ma charge d’activité par exemple ? Je ne le vis pas comme cela, mais je me dis que d’autres peuvent avoir ce ressenti. Mon manager se positionne comme un coach, ce qui me convient bien. »

Dans mon expérience de management, j’ai depuis longtemps misé sur la confiance et n’ai pas attendu le management par la confiance pour laisser des marges de manœuvre aux responsables de service, instaurer un climat de travail joyeux et favoriser l’expression de tous. Obtenir une confiance réciproque demande de l’écoute, la capacité à se remettre en cause et à dire merci, la volonté de donner un cadre clair et une vision partagée de nos missions. Elle reste fragile et peut rapidement être remise en cause par l’incompréhension, la maladresse, le manque d’échange.