Transformer et transformé — Action catholique des milieux indépendants (ACI)

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Transformer et transformé

Retour sur l'intervention "Transformer et transformé" de Paul Malartre pendant le Conseil National 2016 qui a permis d'approfondir nos échanges sur la pédagogie du mouvement. En bas de page, vous retrouverez le communiqué de la CEF retraçant la vie engagée de ce porteur d'espérance éducative.

Transformer et transfomé

 

 

  • Regarder, discerner, transformer.

Plutôt que de lire ces trois verbes comme un processus linéaire et chronologique, il est utile en début de propos d'en creuser les liens et les interactions. En effet, si on les isole en trois étapes distinctes, on risque de séparer la réflexion et l'action et de privilégier l'une ou l'autre, sachant que, même peut-être en ACI, on peut être plus à l'aise dans l'analyse et vérifier alors que le plus difficile est de passer à l'action.

Or le regard est déjà source de transformation. Mon parcours dans le monde scolaire et éducatif m'a montré que tout se joue dans le regard porté sur l'élève.

De même, la qualité du discernement est condition de la pertinence de la transformation.

La transformation est en germe et à l'oeuvre dans le regard et dans le discernement. C'est dans ce lien entre les trois verbes que se joue la cohérence entre ce que l'on dit et ce que l'on fait.

Aussi, si nous allons creuser plus particulièrement le concept de transformation nous garderons en tête, tout au long de ce qui suit, le lien avec le regard et le discernement.

 

  • Pourquoi « transformer » ?

Le mot est fort. Il ne veut pas dire s'adapter ni même faire évoluer ou agir. Il invite à ne pas rester prisonniers du passé et des habitudes rassurantes mais à faire autrement et à être autrement , avec le postulat que les choses peuvent être différentes. Le mot est étymologiquement très proche du mot conversion. C'est pourquoi vous avez eu raison de lier dans le titre proposé pour cette intervention l'infinitif au participe passé : je ne peux transformer sans être transformé et réciproquement. Je ne peux participer à la transformation du monde si je ne suis pas en attitude intérieure de conversion.

 

  • Transformer quoi et pourquoi transformer ?

L'une des fortes intuitions de l'ACI est de partir de la vie des personnes. Cette vie est conditionnée par les choix d'existence aux niveaux conjugal, familial, professionnel et relationnel. La révision de vie, comme son nom l'indique, est un itinéraire pour discerner ce qui est à transformer dans nos comportements quotidiens.

Une autre intuition forte de l'ACI est d'accueillir la vie du monde. Cette vie est conditionnée par les champs politiques, économiques, sociaux, culturels, écologiques .

Il y a une inter-dépendance entre nos choix de vie et la vie du monde. Tout est lié dans ce qui est à transformer.

Nous en trouvons une belle illustration dans l'encyclique « Laudato Si ». L'expression « tout est lié » y revient comme un leitmotiv. Le Pape François veut dire que nous ne pouvons pas concevoir l'écologie indépendamment du rapport à l'humain, à l'économie, à la politique, à la spiritualité . La lutte écologique est aussi d'ordre social en étant l'un de facteurs de la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités entre hommes et entre les continents.

Par la référence à « Laudato Si » qui nous invite à penser autrement l'avenir de la planète pour penser autrement l'avenir de l'humanité, nous pouvons mieux comprendre ce qui est à transformer : nos comportements personnels et collectifs pour transformer le monde non pas pour lui-même mais pour le rendre habitable en construisant ce que le Pape nomme « notre maison commune ». Et nous pouvons mieux comprendre pourquoi il faut transformer : pour construire une société plus juste, plus pacifique, plus fraternelle, en un mot plus humaine.

Le but ultime de toute tranformation, dans nos vies comme dans la vie du monde, est la croissance en humanité de chacun.

 

  • Transformer avec qui ?

La première réponse tentante serait de transformer le monde avec ceux qui nous ressemblent et qui pensent comme nous. C'est déjà bien de vivre, par exemple en équipe d'ACI, une proximité de préoccupations et de convictions. Mais il nous faut aller au-delà pour éviter le risque que cette volonté louable de transformation ne se réduise à l'entre-soi . D'autres milieux, d'autres cultures travaillent à la transformation du monde. La transformation n'est pas l'apanage d'un mouvement, d'une Eglise, de décideurs politiques ou économiques.

Nous éviterons le risque de l'entre-soi par des engagements qui nous ouvrent à la diversité , au dialogue et au débat avec ceux qui n'envisagent pas forcément comme nous les transformations nécessaires et leurs raisons profondes.

Je pense que nous serons d'accord pour dire que l'ACI n'est pas un engagement en soi mais que la réflexion en équipe et dans le mouvement est normalement le creuset d'engagements associatifs, politiques, écclésiaux, éducatifs (cf, projet ACI p:13).

Quand dans le titre de ce chapitre du projet vous parlez de « croyants engagés dans la transformation du monde » vous voulez dire « de croyants engagés avec d'autres ». C'est en ce sens que vous parlez d' « un mouvement au cœur du monde ».

Nous partageons avec d'autres sensibilités cette responsabilité de mettre en œuvre, au niveau local comme aux niveaux national et mondial, les transformations nécessaires.

 

  • Transformer qui ?

C'est dans cette question que nous avons à nous interroger sur « transformé ».

Et c'est aussi dans cette question que les liens entre regarder, discerner, transformer prennent tout leur sens.

On peut assez facilement établir des listes de ce qu'il faudrait transformer . De même, on peut en toute bonne foi et plein de bonne volonté vouloir transformer ... les autres. Nous devons faire attention  à ne pas nous situer dans une attitude unilatérale où nous serions comme extérieurs à notre propre générosité transformatrice.

Je pense ici à l'expérience que je vis dans une association d'aide à Madagascar. Les réalisations, grâce à l'aide financière venue de France, sont assez remarquables : des populations sorties des rues de Tananarive se retrouvent en villages avec des terres à cultiver, des écoles, des dispensaires . Nous pouvons vraiment parler de transformation pour ces familles qui ont retrouvé une dignité humaine. Mais notre association doit à mon avis aller plus loin : si nous restons dans une mentalité d'assistants nous risquons de fabriquer des assistés. Et nous ne sommes pas alors dans l'attitude de recevoir de la part de ces malgaches à qui nous donnons. Un récent  voyage sur place m'a montré combien nous avons à apprendre d'une culture qui parfois nous surprend, en particulier par ses rythmes, mais peut nous apprendre une philosophie de la vie, l'importance du sourire, une manière de vivre le rapport à la terre et les rapports entre les hommes. Nous pouvons passer , dans un pays très pauvre, à côté de richesses que nous n'avons pas forcément.

Il y a quelque chose qui ne va pas si la contribution financière pour tranformer la vie de malgaches n'entraine pas une transformation personnelle, une conversion de l'attitude et du regard en passant du « faire pour » au « faire avec », en accueillant la réciprocité que les différences rendent féconde.

En partant de cet exemple, nous pouvons avancer que la transformation personnelle n'est possible que si je me laisse déplacer par l'autre différent. Nous ne devrions jamais dissocier « transformer et transformé ».

J'irais presque jusqu'à dire d'une manière générale qu'une transformation qui ne nous transforme pas, qui ne nous remet pas en cause, est suspecte...

 

  • Transformer au nom de quoi et au nom de qui ?

Je vous propose ici d'entrer dans ce qui fonde, pour nous croyants, la démarche de transformation.

J'évoquais en début de propos l'importance du regard dans la relation pédagogique et éducative. Nous puisons cette conviction dans l'évangile et particulièrement dans les rencontres du Christ.

Je relierai deux rencontres : celles de Zachée et de la Samaritaine. Ces deux personnes, en langage scolaire, n'auraient pas eu un bon bulletin trimestriel, l'un pour de l'argent gagné malhonnêtement, l'autre pour une vie conjugale assez « diversifiée ». Et pourtant le Christ ne les condamne pas, ne les rend pas prisonniers de leur passé. Il a suffi de quelques paroles et surtout d'un regard de confiance pour que Zachée et la Samaritaine se voient ouvrir un avenir...transformé, parce qu'ils ont accepté de se laisser déplacer.

Nous sommes ici au cœur de la source de la transformation des personnes: elle nait d'un regard de confiance et d'Espérance. Nous avons tous fait l'expérience que nous avons révélé le meilleur de nous-mêmes quand on a senti de la confiance. C'est ainsi que tout éducateur aura réussi sa mission s'il permet à des jeunes , par ce regard de confiance, de révéler des talents qu'ils avaient parfois bien cachés. Alors l'éducation est œuvre de transformation.

 

En plus de ce regard sur les personnes, l'évangile nous invite aussi à un regard d'espérance sur le monde pour pouvoir le transformer.

Nous pourrions être découragés par l'immensité de la tâche. Le contexte actuel pourrait nous conduire au scepticisme, voire au fatalisme : des populations qui fuient leur pays en guerre et qui reçoivent ailleurs un accueil pour le moins mitigé ; des jeunes à qui on n'offre pas vraiment d'horizon ; des risques climatiques et écologiques pour l'avenir de notre planète ; des inégalités sociales et mondiales qui continuent de se creuser. L'Espérance relève-t-elle alors de la douce utopie de chrétiens, voire de la provocation ?

Nous vous proposons alors de revenir à l'encyclique « Laudato Si ».

Nous avons été frappés par le regard lucide et sans concession du Pape François sur la réalité de notre monde. Au fil de la lecture on peut même éprouver un sentiment de pessimisme. Mais le dernier chapitre éclaire tout ce qui précède : le Pape François n'en reste pas à des constats, fussent-ils effectivement très préoccupants à échelle humaine, en particulier par tout ce qui contribue à dégrader la création. Dans son dernier chapitre il nous convie, au nom de la foi, à ne pas en rester aux seuls pronostics humains : « Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l'espérance ».

Cette espérance est née pour les chrétiens un certain matin de Pâques. La transformation radicale, celle qui donne un sens aux grandes comme aux petites transformations, n'est-elle pas dans ce passage entre la croix du Vendredi Saint et l'inattendu du tombeau vide ?

C'est au nom de cette foi en l'inespéré, de cette conviction que la vie l'emporte sur la mort, que nous ne pouvons pas reculer devant la nécessité de transformer le monde en nous transformant nous-mêmes .

Nous surmonterons les difficultés dans nos engagements avec d'autres pour transformer le monde et les pesanteurs pour nous transformer nous-mêmes si nous savons regarder et discerner, là où nous vivons et dans le monde d'aujourd'hui, des semence de résurrection.

 

                                                               Paul Malartre

Conseil National de l'ACI en 2016

 

 

Communiqué de la CEF

 

Un porteur d'espérance éducative

 

Paul Malartre vient de décéder à l’âge de 74 ans après une année de maladie.

 

Ce professeur de philosophie, ce chef d’établissement puis directeur diocésain de l’enseignement catholique à Saint Étienne, et enfin Secrétaire général de l’enseignement catholique de 1999 à 2007 a été un initiateur de grande qualité et surtout un porteur de l’espérance éducative.

Il a perçu très tôt les chances de renouveau que l’Enseignement catholique portait en lui-même : donner à voir que l’on ne saurait enseigner sans éduquer, montrer que l’on ne saurait éduquer sans une communauté, faire en sorte que la communauté éducative soit réellement composée de tous ceux qui interviennent en faveur de l’élève - de l’enseignant et de la famille au personnel de service et au gestionnaire ... Et que cette communauté éducative sache qu’elle cherchera sa référence dans l’évangile et ses pratiques dans le dialogue éducatif au nom d’une conception chrétienne de l’homme.

Ce croyant très profond a été capable de faire partager sa passion d’éduquer et sa vision. Ce chrétien aura été un serviteur de l’Eglise en étant un tel serviteur de l’éducation. L’Église, en France, lui doit beaucoup.

À son épouse et à sa famille, nous disons notre profonde reconnaissance, nous partageons leur peine et leur prière dans l’Espérance.