Table ronde"Faire Eglise", P. JC Houot — Action catholique des milieux indépendants (ACI)

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Table ronde"Faire Eglise", P. JC Houot

Copyright Marie-Pierre Valdelièvre

Jean-Christophe Houot, qui était déjà intervenu au week-end des coordinateurs en septembre dernier, a accepté de nous partager sa réflexion sur le thème "Faire Eglise", un des cinq axes de notre nouveau plan d'orientation "défis et enjeux". L’intervention a été suivie d'un temps de questions/réponses.

Jean-Christophe Houot est prêtre de la Mission de France. À ce titre, son ministère est d’être en situation professionnelle dans la société : il est maraîcher à Dourdan. Également théologien, il travaille sur une thèse de doctorat sous la direction de Christophe Theobald, sj.

 

Première partie : « Faire Église »

I —  Hospitalité

Concernant la manière de faire Église, j’insisterai sur le mot « Hospitalité ».

Premièrement, l’hospitalité relève de la « présence », d’une présence particulière. D’ailleurs, au Concile Vatican II, dans le décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad gentes (§ 11), l’œuvre missionnaire correspond à une présence : « Il faut que l’Église soit présente (nous soulignons) dans ces groupements humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. » L’œuvre missionnaire consiste à témoigner par une présence, une manière d’être, avant de prononcer toute parole. Jésus avait une présence particulière qui était de susciter la foi des gens, susciter la confiance des gens. Il disait par exemple aux gens qu’il rencontrait sur sa route : « Va, Ta foi t’a sauvé ». Il ne disait pas « viens », mais il disait « va ». Et il ne disait pas « Ma foi t’a sauvé », mais il disait « Ta foi t’a sauvé ». Donc, autrement dit, son attitude, sa présence soufflait sur la propre foi des gens, comme on soufflerait sur les braises d’un barbecue.

La foi des gens, c’est leur courage d’être. Notre présence dans la société, notre manière d’être comme Jésus, consiste à souffler sur la foi, la confiance, le courage d’être, la foi anthropologique des gens pour qu’elle reprenne vigueur. C’est important de le faire dans notre société car on développe toujours le meilleur de nos énergies quand on se fait confiance. Notre présence dans la société consiste alors à susciter la confiance des gens, la foi anthropologique des personnes que nous croisons. St François d’Assise disait : « Allez annoncer l’Évangile ! » et il ajoutait : « si possible sans les mots ».

Notre présence est la base de tout pour accomplir l’œuvre missionnaire. D’ailleurs le mot « paroisse » vient du grec paroikein (demeurer auprès de) et parekhô (présenter). Donc à quoi ressemble notre paroisse ? Que présentons-nous ? Comment « demeurons-nous » dans la société ? Comment nous faisons présence ? Est-ce que notre présence souffle dans l’oreille de l’autre un « Tu peux, vas-y » ?  Donc je pense que le premier point concernant notre présence hospitalière consiste à avoir une présence au cœur de la société qui suscite la confiance et non la méfiance.

À travers une simple présence (sans discours…) on peut faire autorité (et non de l’autoritarisme). Notre présence, à la manière de Jésus-Christ, fait autorité quand elle invite notre prochain à écrire sa propre vie. Notre présence fait autorité quand elle rend l’autre auteur de sa propre vie, quand elle lui dit « Vas-y, tu peux ! ».

II —  Présence

Deuxièmement, j’insiste sur la place de cette présence.

Elle n’est pas simplement interne à l’Église. Mais il s’agit d’une présence externe, une présence dans la société. En effet, concernant la nature même de l’Église, il n’y a pas la nature de l’Église d’un côté, et puis sa mission de l’autre. Toujours dans Ad gentes, la nature-même de l’Église est missionnaire. Contrairement à Lumen gentium, on ne sépare plus la « nature » de l’Église et sa « mission ». Pourquoi ? Parce que l’Évangile nous dit : « l’Esprit nous précède en Galilée », ou bien « la moisson est abondante ». Autrement dit, l’Esprit n’est pas seulement à l’intérieur de l’Église. La moisson n’est pas seulement à l’intérieur de l’Église. Bien au contraire, il y a déjà des choses à récolter dans notre société. Il y a déjà du charisme dans notre société. La Grâce, la Gratuité de Dieu, est déjà dans notre société. Il y a déjà des dons dans notre société. Il ne faut pas sous-estimer notre société. Le Pape François disait : « Ne mettons pas des robinets, là où il y a des sources » (et ça va bien avec l’Évangile de demain ! i.e. sur la Samaritaine).

Il y a des sources dans notre société, à nous d’être des sourciers ! Je n’ai pas dit « des sorciers… », mais des sourciers pour faire ressortir justement les sources qui sont dans notre société. Notre dyna­mique missionnaire n’est plus d’être « en conquête » mais bien « en quête ». On ne part pas en con­quête comme si on était à la conquête du territoire, voulant le dominer. Mais nous sommes en quête, en quête des sources qui sont déjà dans notre société. Ainsi, il ne s’agit pas d’implanter l’Évangile, il s’agit de percevoir l’Évangile déjà à l’œuvre dans la société. Il s’agit de se laisser surprendre par la grandeur de l’autre, chrétien ou non. Il s’agit de sortir, d’être « en sortie », comme dira le Pape. Être en sortie pour se laisser surprendre par la grandeur de l’autre dans un premier temps. Et dans un second temps, peut-être lui faire sentir que quelque chose d’infiniment grand habite déjà en lui…

Donc 1) se laisser surprendre par la grandeur de l’autre, chrétien ou non, et 2) lui faire sentir que quelque chose de grand habite en lui. On n’a plus une pastorale du territoire mais une pastorale de terroir : aller puiser les sources du terroir, aller rejoindre l’intime de tout homme, la profondeur de tout homme, chrétien ou non.

III — au nom de Jésus-Christ

Troisièmement, cette mission hospitalière qui part percevoir les sources qui sont déjà dans le monde ne se fait pas en notre nom propre. Mais au nom de Jésus-Christ, à la manière de Jésus-Christ. On ne s’envoie pas soi-même. On est envoyé au nom de Jésus-Christ pour « être présent » à la manière de Jésus-Christ. L’hospitalité de Jésus-Christ n’est pas passive. Elle consiste à se dessaisir de soi-même pour accueillir le meilleur de l’autre, pour faire ressortir, puiser, le meilleur de l’autre. Mère Teresa disait « Ne laissez jamais une personne venir à vous, sans qu’elle ne reparte meilleure et plus joyeuse ». Je pense que c’est notre travail d’hospitalité à la manière de Jésus-Christ.

Il s’agit de tout faire, tout être, tout donner, pour mettre (soudain…) les gens en Bonne Nouvelle, pour faire ressortir le meilleur d’eux-mêmes. Il ne s’agit pas de se donner. Il ne s’agit pas de sacrifier sa vie. Jésus ne joue pas au sacrifice, tel un héros… Jésus fait bien plus que cela. Donner sa vie, c’est bien plus que de « se donner ». Ce n’est pas « se donner », mais c’est surtout donner l’envie à l’autre de se donner à son tour, l’envie d’entrer dans cette danse du don, de faire corps. En se donnant, il s’agit surtout de donner la capacité à l’autre de se donner à son tour. Je dirais qu’on est en mission à la manière de Jésus-Christ quand on a cet élan intérieur, cette nécessité intérieure de faire en nous et autour de nous, non pas forcément de la permaculture…, mais de la perma-résurrection, de la résur­rection permanente, dans notre société, à travers notre présence, à la manière de Jésus-Christ, en Lui.

Deuxième partie : Place de l’Écriture

I — la Tradition

Premièrement, je voudrais souligner ce qui fait le propre de la Tradition. 

Dans la constitution Dei Verbum (§ 8) du Concile Vatican II, la Tradition consiste à « rendre l’Écriture continuellement opérante ». Mais comment l’Écriture devient-elle opérante ? L’Écriture devient opérante quand elle devient Parole de Dieu, quand elle me parle. Mais quand est-ce qu’elle me parle ? L’Écriture me parle et devient Parole de Dieu, quand je la médite, je la lis et je la relis. Et soudain… je commence à comprendre que ce n’est plus moi qui suis en train de lire l’Écriture, mais c’est Elle qui est en train de me lire. C’est Elle qui est en train d’accueillir tous mes événements heureux et malheureux, et de les transformer en une Histoire… en une Histoire sainte, en une Histoire de libération, en une Histoire de relèvement. Je pense que c’est la force de l’Écriture.

L’Écriture a la force c’est de transformer nos événements heureux et malheureux en une Histoire, en une Histoire exodique. Je n’ai pas dit « exotique » mais exodique, en cette Histoire de libération. Dans la religion juive ou chrétienne, la liberté n’est pas un concept. La liberté est l’affaire d’une Histoire. Une Histoire à écrire, à graver. Une Histoire de libération. La libération de tous et de chacun. La libération d’un peuple. Pour les chrétiens, cette Histoire prendra la forme, la figure, le visage de Jésus-Christ.

II — la Parole

Deuxièmement, il est important de remettre la Parole au centre dans les communautés chrétiennes.

La Parole de Dieu n’est pas secondaire par rapport aux sacrements. La Parole de Dieu ne prépare pas aux sacrements, la Parole de Dieu devient sacrement. C’est la Parole de Dieu qui fait advenir une présence. Autrement dit, il ne peut pas y avoir de sacrement sans Parole. C’est bien la Parole qui est au centre. La Parole, et non le prêtre, qui est au centre. L’herbe fraîche, ce n’est pas les paroles du prêtre, mais c’est bien l’Évangile. De plus, le prêtre est au service de la communauté et non la communauté au service du prêtre. Le prêtre n’est que de passage. D’ailleurs le mot « ministre » vient du latin minus… Dommage qu’on soit obligé de le rappeler…

Alors pourquoi certaines personnes sont-elles ordonnées ? N’y-t-il pas une égalité baptismale ? Certaines personnes sont ordonnées non parce qu’elles sont meilleures que les autres. Mais elles sont ordonnées pour manifester une altérité. Or qu’est-ce que l’altérité ? Le propre de l’altérité, entre le prêtre et la communauté, et même dans un couple… évidemment ce n’est pas de dominer l’autre… ni de le compléter… Le propre de toute altérité, ce n’est pas de permettre une complémentarité. Ma femme ou mon mari n’est pas là pour compléter mon manque d’être. De même pour le prêtre et la communauté. Le but de l’altérité n’est pas de compléter mon manque d’être, mais de révéler sans cesse ma non-totalité.

La totalisation, c’est le risque de tout homme-sujet ou de toute communauté-sujet : devenir un homme total, une communauté totalitaire, fermée sur elle-même, disant « je n’ai besoin de personne, je suis au complet, je suis abouti, je n’attends plus rien ». L’intérêt de l’altérité, c’est de casser, d’ouvrir sans cesse notre tendance à nous replier. L’altérité fait une brèche dans ce risque de totalisation qui nous guette. On est un peuple en marche, toujours en marche, toujours en quête. L’altérité est là pour veiller à ce que nous soyons toujours en quête, jamais accomplis, jamais aboutis, jamais terminés, jamais morts. Elle met le pied dans une porte pour qu’elle ne se ferme pas.

D’ailleurs, cette altérité est déjà au sein même des Écritures. En effet, il y a l’un et l’autre Testament. Au cœur des « célébrations » (du grec αἰνέω : célébrer, parler de, mettre en récit), c’est la Parole qui est notre Herbe fraîche. C’est elle qui « parle de », qui met en récit, en cohésion, ce qui s’est passé, ce qui s’est vécu, et qui fait ainsi advenir du Corps, du Sens, un Passage. On peut s’en nourrir pour nous enga­ger à devenir nous-mêmes de la présence qui rendra nouvelle, bonne et sensée, la présence des autres.

III — Une présence

Troisièmement, comment peut-on dire la Parole de Dieu dans une société qui se veut indifférente à elle ? Je dirais : à travers notre présence.

Devenons ce que nous recevons. Quand on a communié, devenons ce que nous recevons. Devenons cette présence d’Évangile. Faisons chair. Devenons présence d’Évangile, une présence qui doit sentir la brebis comme dirait le Pape. Une présence qui doit sentir les questions que porte la société. Donc on doit être à la fois habité d’Évangile et habité des questions des gens, de la société. L’un ne va pas sans l’autre. La manière d’être une présence d’Évangile dans la société, ce n’est pas de faire de l’événementiel ! Il y en a assez dans la société ! Mais c’est de nous rendre présents aux événements heureux et malheureux que les gens vivent dans la société, pour les transformer en une Histoire sainte, une Histoire de libération. Comme l’Écriture l’a fait pour nous.

Être Présence d’Évangile, c’est accueillir les événements heureux et malheureux des gens que nous rencontrons pour que, soudain, ils se transforment en une Histoire, une Histoire sainte, une Histoire de libération, une Histoire de relèvement, une Histoire sensée, une Histoire qui a un sens commun. C’est-à-dire un sens communicable à tous, partageable à tous. Notre venue, notre présence (parousia) d’Évangile permet de faire de leurs événements heureux et malheureux une histoire qui crée de la vie en eux-mêmes et autour d’eux. Notre vie est vivante quand on crée de la vie en nous-mêmes et autour de nous-mêmes, pas l’un sans l’autre. Leur histoire doit donc devenir sensée pour eux… mais aussi pour les autres ! Ainsi, elle devient communicable à tous. Leur histoire devient du pain communicable, du pain partageable à tous, du pain nourrissant pour tout le monde.

En étant présence d’Évangile, à travers notre « style » (terme emprunté à Christoph Theobald) auprès de ceux que nous rencontrons, nous sommes à leur service. Nous leur permettons de faire histoire, d’écrire une histoire sensée, partageable à tous. D’ailleurs le mot « style » a la même racine que « stylo ». C’est avec notre style qu’on permet à d’autres de mettre en récit leurs événements et d’en faire de l’Histoire de libération, de l’Histoire sainte. Le style n’est pas « une » mode, mais « un » mode d’être, c’est-à-dire une présence, une présence qui va sentir bon à la fois les questions des gens et l’Évangile. Certes, devenir présence d’Évangile nécessite d’être « habité » d’Évangile d’une part. Mais encore faut-il être « habilité à » pour être reconnu présence d’Évangile, sourcier dans la société. Être « habilité à » par l’institution pour être envoyé non pas au nom de soi-même, mais au nom de Jésus-Christ.

Questions

À Rome, une petite fille dit tout de go à sa grand-mère dans une église : « Tu sais grand-mère,  je ne crois en rien. » Quelle réponse fait-on à des jeunes qui, par provocation, disent « tu sais je ne crois en rien », mais demandent implicitement : « Grand-mère, dis-moi en quoi tu crois. » Quelle est la bonne réponse à faire ?

Concernant « je crois en rien », on ne le retrouve pas seulement chez des jeunes, on le retrouve chez beaucoup de personnes. Aujourd’hui, la société ne demande rien à l’Église. Désormais, on est dans une Église en minorité, en diaspora. D’où cette attitude qui consiste, non pas à accueillir l’autre, mais plutôt à demander l’hospitalité aux autres. Il s’agit d’aller dans notre société et y demander l’hospitalité par notre présence. On ne demande pas l’hospitalité pour aller leur annoncer ce en quoi ils doivent croire. Au contraire ! Notre présence annonce (sans les mots) qu’on désire découvrir ce qu’il y a de grand chez l’autre.

Demander l’hospitalité, c’est avoir une présence qui veut rejoindre l’intime de tout homme car quelque chose de grand y habite déjà. Il faut plutôt aller rejoindre les gens là où ils sont. Marc ou le Père Fonlupt disaient qu’il fallait rejoindre ceux dont l’Église est loin. Monseigneur Riobé disait cela : « Il ne s’agit pas de rejoindre ceux qui sont loin de l’Église, mais ceux dont l’Église est loin. » C’est nous (l’Église) qui sommes loin d’eux, et non eux, loin de nous. Donc quelqu’un qui ne croit en rien, il a déjà ce souci de nous dire « je ne crois pas en ce que toi tu crois ». Mais c’est à nous de percevoir en quoi il croit. Quelle est sa foi anthropologique, son courage d’être ?

C’est à nous, en tant que sourciers, d’aller faire ressortir ce en quoi cette personne croit. Mes collègues de travail ne croient pas du tout en Dieu. À travers mon travail, je viens leur demander l’hospitalité par une présence qui leur fait sentir qu’ils ont quelque chose à m’apprendre. Ils m’accueillent tel que je suis et je ne fais pas de l’affichage. J’ai soif de leur profondeur. Je ne suis pas un propriétaire de vérité. Mais un chercheur de vérité. En discutant, on arrive à toucher le vrai du vrai, le fond du fond, à discuter de la vérité, ou plutôt… de tout ce qui nous met en vérité.

Nous avons été intéressés par l’histoire du sourcier, donc comment devenir sourcier ? Comment faire sortir la quête ?

Après il y avait la question : comment être sourcier ? Je dirais : une personne est toujours intéressante… à condition de l’écouter ! Donc je pense que nous, notre travail, c’est avant tout de bien écouter pour faire ressortir ce qui habite la personne, le meilleur de la personne.

Comment en dehors de l’Église, c’est-à-dire dans nos engagements citoyens, dans les assos, dans notre vie professionnelle… on montre qu’on est chrétien ? Comment on montre qu’on fait partie de l’Église ?

Visibilité. Que montrer ? Est-ce qu’on veut montrer qu’on est signe de l’Église ou signe du Christ ? On est signe de quoi ? De l’Église ou du Christ ?  Moi, je préfère être signe du Christ avant tout, donc à travers notre présence, qui va interpeller, qui va interroger : mais quelle est ta source ? D’ailleurs, il faut distinguer les mots source et ressource. Les humains sont des ressources. Or, les ressources sont épuisables. Dieu est une source. Une source… inépuisable ! Soyons signe de cette source ! Prenons conscience que nous ne sommes que des ressources épuisables. Et allons nous ressourcer. Soyons signes de la Source, et non simplement signe des ressources, si belles soient-elles !

Nous avons été sensibles à ce que vous avez dit sur l’humilité, parce qu’on se dit peut-être que le fait que l’Église soitminoritaire aujourd’hui, cela nous oblige justement à cette humilité-là, et que c’est peut-être une grâce pour avancer autrement ; et dans l’avancée autrement, on notait que c’était aussi peut-être une conversion personnelle et collective à faire, que de se dire « je ne suis pas là pour apporter quelque chose à l’autre, mais je suis là pour reconnaître qu’il peut m’apporter quelque chose ». C’est aussi un petit changement dans notre tête.

Concernant l’humilité, et en tant que maraîcher, je me permets de rappeler qu’humilité vient du latin humus, qui signifie terre. Toucher l’humus, toucher la terre, c’est toucher l’humain. Ça a la même étymologie. Donc avoir de l’humilité, ça permet de se mettre à la hauteur de la terre, à la hauteur de l’homme, pour rejoindre justement les événements de chacun, l’intime de tout homme, la profondeur de tout homme. Donc l’humilité c’est le chemin évident… en théorie… Mais moins évident pour une pratique quotidienne…

Concernant l’accueil des musulmans, deux situations se présentent : soit les musulmans répondent à une invitation, les chrétiens savent où ils sont, il faut se situer quand même pour pouvoir échanger avec eux ; et puis dans la société nous sommes confrontés à la présence musulmane qu’on peut rencontrer dans l’action. Il y a deux façons d’être chrétien auprès de musulmans, comment le vivre sereinement, avec humilité ?

Concernant les musulmans ou toute autre personne d’une autre religion, ou qui n’est pas croyante : il faut percevoir une fraternité. Certes, on n’a pas forcément la même religion, on n’est peut-être pas forcément frères de sang, mais je dirais qu’on est frères de grâce. Qu’est-ce qui coule dans nos veines ? Ce n’est pas forcément le même sang, la même foi, mais il y a une grâce, une gratuité qui coule dans les veines de tous les hommes, chrétiens ou non. Et la mission est d’aller récolter ces grâces qui sont en quiconque dans la société. Ensuite, après cette récolte, nous les rendons au Dieu auquel nous croyons. Pour nous chrétiens, nous rendons ces récoltes à Jésus-Christ, à Celui qui nous les a données gratuitement. Nous croyons qu’Il est à l’origine de ces gratuités offertes à tous les hommes, musulmans, bouddhistes, athées, chrétiens… Rendre à Dieu toutes ces grâces récoltées dans la société, fait partie du travail du discernement. D’où proviennent ces gratuités ? Elles viennent de Lui. Percevoir « de qui » elles viennent relève du discernement.

Certes, on n’a pas la même croyance, on n’a pas la même foi. Mais en tant que chrétien, qu’est-ce qui fait la Vérité ? En tant que chrétien, la vérité n’est pas à un tel. La vérité n’est pas à toi, à moi ou à nous. La vérité de Jésus-Christ est entre nous. La Vérité n’est pas relative. La Vérité est relationnelle. Comme le disait le Père Fonlupt. D’où l’importance, pour nous chrétiens, de créer du lien. Notre priorité chrétienne sera de créer du lien, parce que Jésus Christ c’est du lien, c’est de la relation. On s’engage à créer du lien, à faire corps. Certes, certains reconnaîtront le Christ dans cette relation, d’autres non. Mais tous vivront la même joie, ça c’est important. Nous, en tant que chrétiens, on est au service du monde. Notre foi chrétienne (la foi christique) se veut être au service de la foi anthropologique, de la confiance humaine. Notre foi christique est toujours au service du courage d’être humain, de la confiance humaine. On n’est pas au-dessus des autres par notre foi chrétienne. Pourquoi restons-nous chrétiens ? Parce que nous reconnaissons en Jésus-Christ une excellence ! Sinon, on irait ailleurs ! Mais cette excellence est qualitative et non hiérarchique. C’est une excellence qui nous met avec les autres, et non au-dessus des autres. Communier à la manière de vivre de Jésus-Christ est excellent pour nous donner envie de vivre les uns avec les autres.