Italien, français, européen ? — Action catholique des milieux indépendants (ACI)

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Italien, français, européen ?

Adrien Beorchia, membre de la commission internationale, témoigne de l'émigration italienne entre 1947 et 1948.

Italien, Français, Européen ?

 

Je fais partie de la dernière vague de l’émigration italienne. C’est l’après-guerre, la misère est encore grande dans les montagnes du nord-est de l’Italie. La France reconstruisait et acceptait les migrants par milliers. Mon père, maçon, est parti en 1947 et ma mère et moi l’avons rejoint en 1948 , c’est ainsi que je suis devenus normand ! Enfant, on ne réalise pas vraiment la condition d’émigré, mais au travers du discours des parents « nous ne sommes pas chez nous, il faut avoir une attitude irréprochable » et l’accueil pas toujours très humain, sans que cela soit dramatique des français « de souche » (ritals, macaronis, alliés des allemands,…), la vie n’est pas toujours facile.

Mais je rends grâce aux hussards noirs de la république, c’est par l’école que je me suis parfaitement intégré, dans une école où je n’ai jamais ressenti de la part des instituteurs la moindre  allusion à mon statut de migrant, plutôt une certaine bienveillance.

Un autre facteur d’intégration est la religion, le catéchisme et en particulier le patronage du jeudi qui contribuaient à effacer la différence. Un autre lien, même si cela est curieux, c’est la messe en latin qui était la même de part et d’autre  des Alpes. Un latin que la majorité des gens ne comprenait pas, mais la musique était la même. Tout cela crée une forme de parenté.

Au fil des années le cercle des amis,  des connaissances s’étend au-delà de la communauté d’origine italienne du départ , mais ce n’est jamais simple, au moindre problème on peut être renvoyer à son statut d’émigré. Certains disent que nous sommes pour la vie des émigrants, mais beaucoup d’auvergnats sont auvergnats pour la vie et les bretons, bretons… etc.

La république de cette époque m’a permis de faire des études longues, jusqu’à l’université, et nombre d’enfants de ma connaissance, arrivés comme moi de la même région ont bien réussi dans leurs études.

J’ai demandé ma naturalisation à 20 ans, que j’ai obtenu à 22. Parfait j’étais français ! Sans renier mes origines, bien entendu. J’ai participé avec enthousiasme à mai 68, et suivi avec intérêt depuis ce temps la vie politique. Une vie de famille, une carrière universitaire, j’étais un français de France.

L’évolution de l’Europe, ce droit de se déplacer librement, cette monnaie unique, Erasmus et la possibilité  d’étudier dans n’importe quel pays ont contribué à effacer de mon esprit cette notion d’émigré, cette sensation de n’être pas tout à fait admis, accepté. Nous étions européens, nous somme européens, nés à Balazuc, Meulebeke, Bexbach ou Trava.

J’ai subi une première piqûre de rappel par le président Sarkozy avec le discours sur l’identité nationale, cela m’a fait froid dans le dos, je me suis senti instantanément visé, alors ce n’est pas fini ! Où est l’égalité ? Faut-il être plus blanc que blanc, sinon gare ? Cela n’a pas été trop loin, mais c’est toujours là.

Malheureusement, le ver est dans le fruit, la montée des extrêmes droites dans tous les pays me désole, surtout de voir le pays où je suis né être en pointe. Ce discours de haine n’est pas nouveau, il se banalise, une banalité qui est peut-être la pire des choses comme le dit HANNAH ARENDT. Il y a un an lors d’un voyage en Pologne une dame très bien sous tout rapport nous disait sa fierté d’être dans un pays pur à plus de 99 % !!!!

Des « banalités » comme celles-ci participent d’un discours ambiant tenu sans aucune gêne par des personnes que nous côtoyions quotidiennement et par des hommes politiques de tous les pays. La bête immonde n’est pas morte, j’avais la naïveté de le croire.

Je ne veux pas retourner dans ce monde de frontières, de murs, de barbelés, je pense qu’il y a un peu plus d’un siècle on se déplaçait librement à travers l’Europe ! Je ne crois pas qu’en se recroquevillant dans sa tanière nationale on fait avancer l’humanité. C’est une nécessité de défendre l’idée de l’Europe, une Europe solidaire proche de ses habitants . C’est nous qui construisons notre avenir, et je n’oublie pas que la démocratie passe par des élections, un vote peut tout changer, en bien comme en mal.